Qui oserait tuer un enfant ? demande un îlien rescapé du massacre.
La fiche du film
Le film
Les bonus
- DVD 16 septembre
- Meilleur DVD Septembre 2020 (10 ème )
Il n’y a pas d’explication rationnelle. Sur une île désertée par ses habitants, les enfants pillent et tuent. Narciso Ibáñez Serrador ne nous livre que le constat de leurs méfaits. Et c’est déjà beaucoup. Terrifiant aux yeux de ce couple de touristes anglais qui découvre l’enfer là où le paradis les attend.
La révélation est à l’image du style du cinéaste. Serrador manie l’angoisse et le suspense à dose homéopathique, juste pour donner de l’horreur ce qu’il faut en prémices aux atrocités à venir.
Tom à qui tout indique de quitter le plus vite possible ce lieu devenu maléfique s’enfonce dans une incompréhension de plus en plus noire . Sa compagne, enceinte, le prie de rejoindre le continent. Mais le téléphone sonne, une voix supplie …
Un passeport dans le casier de l’hôtel révèle aussi la présence d’autres touristes. Où sont-ils ?
A peine peut-on répondre que les enfants se manifestent, silencieusement, fixement, avant de se perdre dans les ruelles enchanteresses du village plombé par le soleil. Et de ressurgir, et d’agir.
C’est plus dans la suggestion que le réalisateur opère, l’appréhension dans l’attente, l’incertitude. Un style qui ne répond à aucune des questions posées .
C’est peut-être une légende allemande rapportée par les frères Grimm, remise au niveau d’un monde de violence et de destruction. Là où les enfant trinquent toujours.
Plusieurs vidéos sur les guerres du siècle dernier accompagnent le générique d’ouverture. Dans les camps de concentration, au Biafra, au Vietnam, les enfants sont toujours les victimes.
Qui maintenant se vengent de ces adultes coupables, des ennemis en puissance, suggère le réalisateur en phase avec son héros .
Quelle résistance leur opposer ? Qui oserait tuer un enfant ? demande un îlien rescapé du massacre.
Au-delà de la violence sourde et primaire , le film interroge pleinement sur la nature de ce siècle nouveau balbutiant qui n’apporte toujours aucune protection à l’enfance maltraitée. Il y a méthode moins sanglante pour évoquer un tel sujet mais Serrador le fait avec distinction dans un genre habituellement plus coutumier des effets horrifiques.
Les interprètes (Lewis Fiander, Prunella Ransome … ) adoptent eux aussi le bon tempo, très particulier dans un tel contexte. Avec une ribambelle d’enfants incroyablement lucides sur la portée de leur comportement. Glaçants, sauvages, ils dictent leur conduite d’un rien, de ce « si peu de chose » que le monde en est bouleversé.
LES SUPPLEMENTS
- Présentation du film par Fabrice du Welz
- Qui peut tirer sur un enfant ? Le directeur de la photographie José Luís Alcaine parle de sa rencontre avec Narciso Ibáñez Serrador . « Il voulait faire quelques chose entre –La Nuit des morts-vivants- et « Les Oiseaux » Mais la photo ne devait pas être celle d’un film d’horreur typique. Mais plutôt d’un film normal, ce qui pourrait se passer n’importe où… ».
Rendre le film crédible, sans toucher aux couleurs, ne pas aller vers l’expressionnisme. « C’était ça le pari, faire quelque chose de très naturelle ».
La suite est tout aussi intéressante, il parle très bien de sa technique et du film qui en résulte . Et rend même hommage à Almodovar …
- Le metteur en scène des enfants . Narciso Ibáñez Serrador évoque le roman original de Plans qu’il adapta sous le pseudonyme de Luís Peñafiel et revient sur la morale de l’histoire.
« En réalité il reste peu de chose du roman, mis à part que ce sont des enfants. (… ) Plans m’a soufflé l’idée et ça m’a permis d’écrire mon scénario. (… ) De tout ce que nous provoquons, guerres, famines, catastrophes… les enfants sont toujours les victimes. La violence comme la méchanceté est une chose innée, nous l’avons dès la naissance, c’est aux adultes de veiller… »
« Si les enfants étaient une espèce différente de la nôtre, peut-être se défendraient-ils, instinctivement, comme les fourmis. (…) C’est un film qui choque beaucoup de gens, mais pas moi. Le point de vue que j’adopte ne me scandalise pas ».
« Toute personne qui entreprend un film d’horreur mérite mon respect. Car elle s’expose à la pire des terreurs : être ridicule, que le public rigole ».
- Narciso Ibáñez Serrador vu par… des réalisateurs qui savent dans la perversité retrouver le cinéma de Serrador
-Guillermo Del Toro . « J’ai pu lui dire combien il était important dans ma vie ». Les artistes locaux en parlent aussi, très bien, et à travers lui, du cinéma espagnol dans le genre fantastique, évidemment.
-Juan Antonio Bayona. « Il représente les peurs de notre enfance, par le son plutôt que par l’image. Tous les lundis il présentait un film d’horreur à la TV, que je ne voyais pas, terrifié sous mes draps car j’entendais le son, la musique . Et j’imaginais alors les films ».
-Jaume Balagueró et Paco Plaza évoquent sa dimension sociale, « une icône de la culture espagnole ». « Les révoltés… » , « ce film, c’est le paradigme de la perversion , l’enfance est complètement pervertie ».
- Histoires du cinéma fantastique espagnol ( 26 mn ) . Retour sur ce genre phare qui plaça l’Espagne sur le devant de la scène internationale avec les témoignages des réalisateurs présentés excellement bien par …
…l’historien Emmanuel Vincenot. Il connait parfaitement son sujet et n’oublie pas au passage de rappeler « que la Bible demeure l’un des premiers grands livres fantastiques »
-Jesus ( Jess) Franco, se réfère beaucoup à Buñuel, qui un jour le traitera d’enfant « mais j’ai 36 ans » lui dit le jeune homme.
« mais pour moi vous êtes un enfant » rétorque l’auteur de « Belle de jour ».Jess Franco évoque les nombreuses censures dont il a été l’objet, et même la méfiance de certains producteurs . Il tournera beaucoup à l’étranger. Il rend hommage au film de Walter Summers » Le tueur aveugle » en réalisant en 1961 le premier film d’horreur espagnol : « L’horrible docteur Orlof ».
-Jorge Grau. De formation très catholique « j’ai très vite repéré dans cette religion ce qui ne fonctionnait pas ; un certain déterminisme. J’étais soumis à une tromperie, et je me suis rebellé de l’intérieur . Si Dieu existe il ne peut être l’auteur des règlements que l’on veut m’imposer. Donc il n’existe pas ».
L’importance du rite dans ses films ? « J’interprète les gestes rituels comme une expression de toutes les religions, lever les bras aux ciels pour exprimer sa joie ou implorer , c’est d’une très grande esthétique, le strip-tease n’est pas qu’un acte de séduction érotique, c’est un rite ».
-Paul Naschy. Avec lui on assiste à l’éclosion du genre fantastique en Espagne « des films de vampires et de loups-garous, en Espagne c’était absurde » me disait-on « seule la comédie était populaire . Mais des producteurs allemands sont venus à mon secours : « Les Vampires du Dr Dracula » a vu le jour . « C’était l’humanité du loup-garou qui me séduisait avant tout, sa libération venait de l’amour… »
Le film
Les bonus
Je ne suis pas adepte de ce genre de cérémonie horrifique, mais force est de constater que le propos de Serrador s’accorde avec une maîtrise scénique indéniable qui le conduit à réaliser une grande œuvre du film frissonnant.
Il le fait avec distinction dans un genre habituellement plus coutumier des effets horrifiques.
Le cinéaste interroge pleinement sur la nature de ce siècle nouveau qui n’apporte aucune protection à l’enfance maltraitée, à travers la révolte de gamins et gamines devenus maîtres d’une île perdue au large de l’Espagne.
Et face à leur comportement dévastateur, l’adulte ne sait comment se défendre, s’interdisant toute réaction primaire , le droit de tuer un enfant.
Les épargner du monde du lendemain, tel est le propos sourd et violent du réalisateur bien entouré sur son affiche pour conduire son propos jusqu’à son terme . Ame sensible s’abstenir…
AVIS BONUS
Beaucoup de professionnels se penchent sur le travail de ce réalisateur qui s'exprime lui aussi très clairement. La petite rétro sur le cinéma espagnol d'épouvante mérite le détour