Représentait le Yemen aux Oscars 2024
L’histoire : Lorsqu’Isra’a découvre qu’elle attend un autre bébé dans le contexte de la guerre civile au Yémen, elle et son mari décident qu’elle doit avorter. Mais cela crée d’énormes difficultés, dans leur relation et ailleurs.
Si les étoiles n’apparaissent pas, reportez-vous à la fin de l’article
Inspiré de faits réels
Le Yémen est en guerre depuis dix ans et l’actualité n’en fait pas des tonnes. Amr Gamal non plus. Le réalisateur montre un pays bien amoché dans lequel les habitants ont semble-t-il pris leurs marques.
Ils vivent selon les circonstances . Quand un nouvel enfant est annoncé, dans une famille quasi normale, ç’est un enfant de trop. L’avortement est inéluctable, et pourtant, une fois l’idée ancrée au sein du foyer, celui-ci en subit les contre-coups.
Pour des raisons morales et religieuses, Isra’a freine l’engagement médical que son mari souhaite accélérer.
La prise en tenaille du problème familial fait écho à la situation d’un pays dont l’armée appartient « à celui qui le dirige en ce moment » . Demain sera un autre jour …
Amr Gamal le cadre subtilement, façon poupées russes : dans la société qu’il filme se dégage un paysage ( un décor ) où la circulation intense anime des hommes et des femmes, cadrés eux aussi très précisément.
Isra’a et son mari , avec leurs trois enfants, apparaissent . Il ne touche plus son salaire et doivent déménager dans une maison vétuste, aux murs décrépis, au chauffage inexistant. La famille devient nécessiteuse. On propose de l’aider.
Dont Muna, leur grande amie (photo), une gynécologue réputée de l’hôpital. Elle veut bien tout, sauf l’avortement. « Le bébé est un don du ciel dit-elle , le ciel imploré à tous les instants car si dieu le veut… et que dieu nous garde …
La crise de conscience de part et d’autre est énorme. Amr Gamal se garde bien de choisir un camp dans un pays où les interdits prônent des coutumes tout aussi contradictoires.
La morale vous retient de les contourner, la pratique s’autorise aux évidences. Dans Aden la ville, la gardienne. Une ville qui n’existe plus.
LE SUPPLEMENT
- Entretien avec le réalisateur Amr Gamal par Ali Bin Amer ( 32 mn ) -La façon d’aborder le thème de l’avortement, décision conjointe de la femme et de l’homme . « Le film a un caractère rationnel , une approche très équilibrée, en évitant l’exagération, la manipulation » raconte l’interviewer, très condescendant vis-à-vis du cinéaste, tout au long de l’entretien.
« J’ai connu une famille proche de cette histoire » lui répond-il , « son déclin économique avec le printemps arabe, et la guerre en 2015. (…) Ils avaient déjà envisagé l’avortement pour le troisième enfant. La quatrième grossesse était catastrophique ».
Le manque de profondeur émotionnel ? remarqué par certains observateurs. « Mais je ne suis pas d’accord avec eux » précise Ali Bin Amer.
« Un malentendu sur la traduction. ( … ) J’ai équilibré les émotions des personnages pour que leurs remords n’influencent pas leur décision . Ils évitent le contact visuel pour rester fermes dans leur décision ».
Son lien avec Mrinal Desaï, le directeur de la photographie : il a compris que je voulais documenter la ville. Tout un développement sur la technique, suit. « Malgré l’apparence d’un effort minimal, un énorme travail a été réalisé ».
Le film
Le bonus
On retrouve l’état d’esprit de « Une séparation » de Asghar Farhadi , les atermoiements, les interdits. Comment les contourner quand votre conscience vous poursuit. Avorter ou pas dans ce pays yéménite en guerre depuis dix ans et qui n’en finit pas de retourner son identité. Une famille de plus en plus nécessiteuse est confrontée à ce problème. Tout un processus d’identification à une culture, à une religion se met en place dans une réflexion personnelle au détriment du collectif. Mais que fait la collectivité ? C’est le sens de la démarche du réalisateur qui visiblement n’a pas de réponse quand les interdits prônent des coutumes tout aussi contradictoires. La morale vous retient de les contourner, la pratique s’autorise aux évidences. Dans Aden la ville, la gardienne. Une ville qui n’existe plus.