Synopsis: 1945, aux Philippines. Les troupes américaines ont débarqué et conquis la capitale, Manille. Les soldats japonais, maîtres de l'Archipel depuis trois ans, sont contraints de se replier. Traqués de toutes parts, affamés, épuisés, ils ne pensent qu'à survivre coûte que coûte. Autour d'eux, tout n'est que bombardements, carnages et charniers. L'un de ces soldats, Tamura, est atteint de tuberculose. Parviendra-t-il à conserver un peu d'humanité dans cette atmosphère de fin du monde ?
La fiche du DVD / Blu-Ray
Le film
Le bonus
Meilleur dvd Mars 2016 (5 ème )
Dans la mythologie du cinéma, les japonais sont de mauvais perdants. A la guerre principalement. La défaite inéluctable, ce sont toujours des kamikazes triomphants. Le film de Kon Ichikawa fait alors figure d’exception par la teneur de son récit, tourné en 1959. Moins de vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, le cinéaste révèle à la face du monde l’état de délabrement des troupes du Soleil Levant, des hommes décharnés, affamés, abandonnés par leur hiérarchie.
Tamura fait figure d’emblème. Le héros du roman de Shohei Ooka erre solitaire au milieu d’un environnement délabré. Il porte sa maladie, la tuberculose, comme l’ultime fardeau de sa débandade. Pour survivre, pour un peu de sel, une patate douce ce soldat perdu est prêt à tout. Il est devenu bête au milieu des bêtes qu’il rejoint peu après dans ce long défilé hagard et malheureux qui tente de rejoindre des lignes amies.
C’est une autre guerre qui commence , celle de la survie. Pour une paire de chaussures moins trouées, un peu de viande de singe que l’on troque contre une feuille de tabac ou un peu d’eau. Tamura se plie aux exigences de cette débâcle au rythme des petits pas englués dans la boue et la peur. La guérilla philippine les traque sans relâche. Se rendre à l’ennemi est une désertion coupable.
Tout ce que Kon Ichikawa filme avec une patience désordonnée, au rythme langoureux de ces hommes perdus et déjà morts. Les survivants, à l’ultime recours, mangeront leur semblable. Le tabou de trop pour les spectateurs de l’époque aujourd’hui relégués par une mémoire de cinéma qui inscrit l’œuvre d’Ichikawa parmi les résurgences du septième art.
- Interview de Bastian Meiresonne. Co-auteur du Dictionnaire du Cinéma Asiatique. Directeur Artistique du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul.
Il est avant tout indispensable selon lui de lire le roman de Shohei Ooka dont s’est inspiré Ichikawa et de voir le film ensuite.
« La défaite est pour un japonais quelque chose de terriblement tabou (…) mais de jeunes auteurs vont vouloir confronter les japonais à cette époque de la seconde guerre mondiale, et à tout ce qu’ils avaient fait de mal ». Bastian Meiresonne raconte par le détail qui est Kon Ichikawa.
Il le réhabilite à travers une filmographie d’abord tournée vers ses comédies de mœurs. « Il n’était pas alors connu comme un auteur ou attendu sur des films noirs comme « Feux de la plaine » un film en avance sur son temps ».
Il évoque son rapport à Hiroshima (images d’archives, toujours aussi atroces), sa collaboration avec son épouse, scénariste, à qui il devait beaucoup, disait-il, la complémentarité avec le roman de Shohei Ooka (l’expérience de la seconde guerre mondiale vécue par son auteur, très autobiographique) alors que le réalisateur n’a pas participé à cette guerre. Il n’a pas vécu cet enfer, mais est bien rentré dans la tête du romancier.
« Le noir et blanc fut un choix difficile à faire admettre, mais le réalisateur voulait l’imposer. Il en sera de même pour le casting … Ichikawa est quelqu’un qui veut que scénario et dialogues soient respectés à la virgule près, avec beaucoup de répétitions. Mais ce ne fut pas le cas pour “Feux dans la plaine”. Il fournissait la situation au dernier moment, pour donner plus de spontanéité au jeu des comédiens.
Ils avaient d’ailleurs peu à manger pour être vraiment dans la peau de leur personnage. Des comédiens ont flanché plusieurs fois et quand l’acteur vedette Eiji Funakoshi est arrivé le premier jour il s’est écroulé. Sa femme a raconté que depuis deux mois il ne mangeait quasiment plus ».
Le film
Le bonus
C’est un film qui dès sa sortie en 1959 fut rejeté par le public japonais, trop en avance sur son temps. Les japonais ne pouvaient pas faire leur mea-culpa face au récit d’Ichikawa rapportant l’errance d’un soldat perdu et abandonné par sa hiérarchie en 1945 aux Philippines.
Un tabou ajouté à celui du cannibalisme, largement évoqué dans un final qui rompt un peu la monotonie ambiante dans cette atmosphère de débâcle. Une impression de langueur mêlée à une réalisation ad-hoc. Loin des effets dramatiques habituellement mis en scène dans les films de guerre, le cinéaste s’attarde sur le destin de son héros, emblème d’une nation sans gouvernance.
Avis bonus
Une longue interview d'un spécialiste. Très intéressante