Synopsis: Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements...
La fiche du DVD / Blu-Ray
Le film
Les bonus
Palme d’or du festival de Cannes , 2014 .
Meilleur dvd Décembre 2014 ( 3 ème )
Les premiers plans fixent le cadre. Il sera soigné, l’image enjolivée et les intérieurs éclairés à la manière des grands maîtres italiens ou flamands du XVII è. Dans ces clairs obscurs résonne le propos d’un frère et d’une sœur qui ne peuvent trop se voir. A peine se supportent-ils.Entre les deux, la femme de Aydin, elle aussi larguée sur un autre continent .
Ce trio est l’essentiel du huis-clos tchékhovien que Nuri Bilge Ceylan met en scène, d’après des nouvelles de l’écrivain russe. Des silences, des regards dans la douceur d’une pièce encombrée de livres et de souvenirs, au milieu de palabres interminables. Mais aussi cette façon de regarder dehors, de manière théâtrale, appuyée, comme si l’air venait à manquer et que chacun guettait le moment pour s’évader.
C’est le cœur du récit du réalisateur turc, le cœur d’une comédie humaine qui se joue dans la profondeur d’un décor étonnant d’Anatolie, la Cappadoce, dans ces vastes étendues de cheminées de fée où des maisons douillettes et confortables ont pris domicile. Nuri Bigle Ceylan s’appuie sur cette posture de dame nature, confortable et rassurante, pour donner à son propos toute l’intensité dramatique, toute sa pulsion, et sa rémission.
A la manière d’un village de Schtroumpf, on s’y complaît, on se laisse vivre, on s’y perd.
C’est le mal d’Aydin, comédien aux rêves de gloire ternis, suffisant, du haut de son piédestal, de Nihal qui a brûlé sa jeunesse auprès de lui, et d’une sœur égarée dans un divorce encore mal assumé.
L’affrontement verbal est sans équivoque. Plus rien ne les retient, sinon cet hiver qui s’installe précautionneusement, mais sans égard pour les peines à l’âme. Il en sera beaucoup question devant le feu de cheminée où les digressions philosophiques altèrent la quiétude du lieu.
Comme s’il suffisait de disserter sur l’autorité littéraire ou les vertus du mal pour donner une réelle consistance à l’humain. Les discussions sont vaines, et lassent l’auditeur.
Mais pas le voyeur qui a raison de patienter devant la posture fragilisée d’un héros qui jusque-là n’avait pas trop regardé le monde. Sur les coups de boutoir de ses deux femmes, et devant la révélation d’un peuple qui souffre, un peu par sa faute (les intellos sont-ils tous aveugles ?) Aydin va refaire le chemin à l’envers et trouver enfin un sens à sa vie. Même s’il lui faut alors passer par une soûlographie entre amis, une scène extraordinaire que Hong Sang-soo ne renierait pas. Haluk Bilginer est saisissant derrière son visage de pâtre grec, presque immobile, comme insensible.
Avant la palme d’or, un brin excessive, c’est un prix d’interprétation que je lui aurais confié (mais son jeu est peut-être trop sobre, trop en retrait, pour le remarquer), en l’accompagnant d’un accessit à l’égard de sa compagne Melisa Sozen . Au fil des événements, elle se révèle entière et formidable. Sa confession finale l’a rend extraordinaire. Toute la mélancolie qui s’empare de cet être nous renvoie à nos propres questionnements.
LES SUPPLEMENTS
- Making of (2 h 20). Je n’avais encore jamais vu un véritable making of sur une aussi longue durée. Chapeau pour l’initiative qui se révèle passionnante à plus d’un titre et pour des catégories de spectateurs bien différents. Rien que pour l’exemple j’imagine un apprenti metteur en scène découvrant le travail de Nuri Bilge Ceylan.
Par le détail et l’explication, il nous donne à voir de nombreuses séquences, l’importance d’un mot, d’un regard ou d’une respiration au milieu d’une phrase. « Mais ce n’est qu’à la fin de la phrase que tu baisses les yeux ».
Dans les scènes d’action, le réalisateur est peut-être encore plus explicite, sur la position de ses protagonistes, devant, derrière ou à côté, l’importance est dans le choix. Il peut prendre plusieurs minutes pour expliquer à un comédien le sens d’une phrase, et comment il doit l’interpréter.
« Mais quand on s’applique à faire ce qu’il demande » remarque un comédien « il arrive aussitôt avec une autre idée ».
Demet Akbağ, elle, ne lâche pas facilement le morceau et lui fait remarquer lors de la séquence du repas qu’il a tout changé dans le scénario. Nuri Bilge Ceylan acquiesce, mais « j’ai gardé le sens ». Peut-être fatigué par l’entretien avec la comédienne, il se retire sur cette sentence « du moment que tu as l’attitude que je veux, tu fais comme tu le sens ». Des moments de cet acabit, pas forcément toujours tendus dressent la perspective d’un travail en profondeur, où la moindre virgule est prise en compte.
Et le réalisateur ne manque pas de réflexions sur l’art de la comédie, à l’intention de son équipe : « l’effort de mémorisation enlève de la souplesse au jeu. (… ) Jouer c’est cacher, pas montrer ».
- « Winter sleep » à Cannes (12 mn). De la présentation du film par les organisateurs, à la conférence de presse de la présidente du jury, expliquant les raisons de l’attribution de la palme à « Winter sleep », un moment agréable, mais rien à voir avec le making of…
Review Overview
Le film
Les bonus
Je comprends qu’après une heure de projection on puisse se demander où tout cela nous conduit. Il faut donc supporter les longues et vaines digressions philosophiques, les face à face verbeux avant que prenne chair le récit d’une vie perdue dans un décor magnifique d’Anatolie, la Cappadoce. Un comédien sans lendemain se berce d’illusions près d’une jeune femme qui ne le regarde plus et d’une sœur qui lui raconte ses quatre vérités.
L’homme va s’ouvrir à la vie en se penchant un peu sur le monde qui l’entoure et à qui il pensait rendre service. Haluk Bilginer, l’époux et Melisa Sozen, sa femme, sont très bien derrière le regard tranquille d’un cinéaste qui pour filmer classique n’en demeure pas moins élégant et saisissant. Une esthétique au cinéma, ce n’est quand même pas tous les jours.
Avis bonus
Un making of de 2 h 20, véritable master class, c'est magnifique de voir un créateur peaufiner à ce point une oeuvre . Bravo pour l'initiative qui ne cache plus grand chose des coulisses...
Comment un petit événement déclencheur (un jet de pierre sur une vitre) peut-il déstabiliser un homme très (trop) sûr de lui et son entourage ? Ceylan y répond et de la plus belle des manières. Il ne faut pas avoir peur des 3 h 15 min car l’immersion dans le film est rapide par des paysages et des lumières fabuleux, par une musique discrète de Schubert et par des éclairs étonnants dans une région magnifique. Les différentes références à des auteurs reconnus (Bergman, Antonioni, Tchekov, Proust, …) sont bien méritées.
Les très longues joutes verbales entre le mari, sa soeur et sa femme sont des affrontements où chacun dit ses 4 vérités à l’autre et font voler en éclat les certitudes et hypocrisies de la petite bourgeoisie (car c’est bien de lutte des classes dont il est question avec entres autres un propriétaire qui se rend compte qu’il est exploiteur). Ces scènes qui, pour ma part sont des points d’orgue, donnent l’occasion de dialogues en même temps très riches et très violents avec des propos intimistes, moralistes, politiques, philosophiques,…brefs intellectuels.
Un très grand film dont on ne sort pas indemne. 4 étoiles pour moi.