Alfred Hitchcock, « le Maître du Suspense », interviewé par Andy Warhol pour sa revue Interview Magazine, en avril 1974. De quoi peuvent bien parler l’artiste le plus emblématique de la pop culture et le cinéaste légendaire, quand tout semble les opposer ? De cinéma, bien sûr, et de Jack l’Éventreur. Mais encore ?
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Ce petit recueil évoque une rencontre entre Warhol et Hitchcock à l’occasion d’un reportage sur le maître du suspense dans la revue « Interview Magazine » du maître de la pop-culture.
Une interview à priori classique, questions-réponses et puis quelques commentaires des uns et des autres sur le bien-fondé de leur propre pensée. Nous sommes malgré tout entre intellectuels, même si Warhol s’en défend. C’est peut-être pourquoi le traducteur Pierre Guglielmina tient à définir les perspectives de cette rencontre dans un long préambule qui anticipe les discussions à venir.
Il est plaisant à lire, instructif. Ne serait-ce que pour cette assimilation, cette analogie posée entre Tippi Hedren et Valerie Solanas, les âmes damnées de leurs créateurs. Il n’y a pas de commentaire, ni d’analyse comportementale, même si parfois l’auteur cherche sous la pierre la mousse qui l’a vu naître.
Je préfère son rôle d’arbitre bienveillant, au centre des conversations, un brin partisan de l’éthique hitchcockienne qui lui parait supérieur me semble-t-il aux élucubrations picturales de Warhol. Ce dernier, contrairement à Truffaut n’a rien prévu sur le contenant de cette rencontre. Il est hésitant, improvise, et doute parfois…
Ce qui lui confère paradoxalement un aspect enjoué et bonhomme, une vision presque anecdotique du monde qui les fait vivre dans cet Hollywood peuplé d’enfants de stars. Hitchcock ne relève même pas le propos de son interlocuteur, attitude récurrente d’une rencontre au cours de laquelle chacun possède son propre langage. Son propre code où l’indifférence du cinéaste n’est pas feinte.
L’évocation de la tentative d’assassinat du sieur Andy par Valérie Solanas est éloquente. C’est à peine si le père Alfred entend la plainte rétrospective d’une victime aujourd’hui amusée par le fait divers. Le duo se retrouve mieux sur les différentes théories de l’existence de Jack l’éventreur, ou la pertinence des « femmes froides ». Grace Kelly, Janet Leigh, Kim Novak… « Vous savez, elles ressemblent toutes à des maîtresses d’école, mais dans un taxi elles vont vous mettre en morceaux » assure l’auteur de « Psychose ». « Je n’ai jamais été vraiment attiré par des femmes du type Marilyn Monroe dont je dis que leur sexualité est suspendue autour de leur cou ».
Plus instructif, peut-être, la leçon de cinéma qu’Hitchcock égrène ici et là au gré des fantaisies de Warhol sur l’art de l’interview débridée. Comment Gary Grant a-t-il échappé aux narines de Lincoln sur le Mont Rushmore ? Les vicissitudes des plateaux TV comparés à ceux des studios. Des scènes expliquées ( la douche, on y revient toujours ) , les coupures des producteurs qu’il ne comprend toujours pas… la vie qui va ! Ou qui allait, l’Amérique vient quand même de voter !
Le recueil
Alfred Hitchcock avait beaucoup d’humour et le ton employé dans ses réponses ne dément pas un tempérament bonhomme qui tranche avec l’aspect plus bohème de son interlocuteur. Andy Warhol ne semble pas avoir vraiment préparé ses questions, et le maître du suspense ne semble guère y prêter attention. Il nous livre des anecdotes de tournages, face au maître de la pop culture qui apparaît tantôt nerveux, tantôt fébrile en diable. Son regard apporte néanmoins un éclairage nouveau sur l’œuvre de l’auteur de « Psychose », révélant les obsessions intimes de l’interviewer comme de l’interviewé. La valeur de la rencontre vaut ainsi par la manière dont elle a été conduite, et retranscrite de manière presque naturelle, instinctive. Le lecteur se retrouve au milieu des deux hommes, arbitre et voyeur admiratif d’une histoire théâtralisée par des dialogues dont certains ne démériteraient pas au cœur d’un scénario à suspense. Ce n’est pas la rencontre avec Truffaut, mais ce petit recueil est un livre achevé bien confortable.
Un commentaire
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