- Il aura donc fallu attendre la dernière ligne droite pour dénicher peut-être le Grand Prix. Hier soir « The Guilty » a pris je pense une sérieuse option. Mais ce matin « Jersey affair » lui conteste la suprématie. Révélation ce soir !
Je pensais connaître l’île de Jersey, mais ce qu’en révèle Michael Pearce n’a rien de l’affriolante contrée verte et touristique. On y chasse « le portos », on y assassine les jeunes filles. Et quand la rumeur relayée par les bonnes familles fait son chemin, le marginal du coin fait l’affaire.
Pascal a le profil idéal : il vit solitaire à l’écart de la ville, il braconne et son passé ne plaide pas en sa faveur. Un beau garçon blond et ténébreux, le regard méchant à la première rencontre. Moll ne peut pas l’oublier, ce visage buriné et sauvage qui la sauvera d’une situation périlleuse.
Moll est tout le contraire de son petit copain. Souffre-douleur d’une famille tyrannique de la bonne société de l’île, elle vit sous surveillance. Sa mère, sa chef de chœur, ne lui tolère aucune fantaisie. Elle doit tout justifier et ne jamais s’écarter du foyer pour veiller sur le papa qui souffre d’Alzheimer. Un climat familial lourd de conséquences et d’un mal être dans lequel Moll s’est trop longtemps enfermée.
Pascal, l’homme des bois, va dérégler le bel ordonnancement et Moll y prend plaisir. Elle savoure les regards tendus sur son homme, les allusions à sa mauvaise vie, les soupçons qui se portent sur lui. Jessie Buckley et Johnny Flynn s’accordent parfaitement sur le tempo de ces vies désormais dissociées. Deux comédiens excellents, en harmonie avec un cinéaste attentif aux comportements des personnages, à leur caractère, à leur personnalité.
Si l’intransigeance de la mère ne souffre d’aucune contestation (grande Géraldine James), dans un rôle plus secondaire, la femme flic venue en renfort pour l’audition de Moll est elle aussi bien à sa place.
La scène de l’interrogatoire est d’une incorrigible sévérité. Une séquence âpre et belle à la fois exemplaire d’un savoir-faire déjà bien affûté sur un premier long métrage . Pour nous avoir tellement happé , il me déçoit sur la fin qui n’en finit pas. J’ai cru à deux reprises que l’histoire s’arrêtait sur une part d’énigme joliment emportée par l’histoire.
La dernière image tout aussi incertaine a le mérite de la pertinence. Moll vient à nous faire douter ! Ce film n’en finira donc jamais !
- « The Guilty »
Ce film venu de Suède est assez particulier pour remettre les pendules beaunoises à l’heure.
A la sortie de la projection, des spectateurs regrettent le fait qu’il ne s’agissait pas de cinéma, que ce film n’était pas un film. Je pense tout à fait le contraire et j’imagine que réaliser « The Guilty » exige autant, voire plus qu’une réalisation classique.
Le cadre est quasiment unique, le personnage principal également. Un policier de la salle des radios coordonne les appels qu’il reçoit en fonction de sa géolocalisation et des effectifs sur le terrain. Une chute de vélo, une agression, un accrochage… il détermine l’ampleur de l’intervention et met la procédure en marche.
Du très banal pour Asger que filme Gustav Möller avec une vérité déjà toute établie dans le cadre : l’expression du policier et son environnement totalement absent. Dans le flou, ses collègues ne semblent pas se préoccuper du drame qui maintenant se déroule. Un appel un peu plus particulier, celui d’une femme aux accents en perdition, craintive, et trop allusive.
Asger traite la situation avec la logique de son protocole. Mais les règles établies ne collent pas forcément avec la réalité. La femme est aux abois, kidnappée assure-t-elle … Des enfants ? Oui quelque part, restés seuls à la maison. Vous avez un mari ?….
Le dialogue est étrange, incertain, coupé par on ne sait qui. Asger multiplie les contacts, réussit à joindre Mathilde avec son petit frère dans la pièce à côté. Il dort dit-elle…
L’image n’a quasiment pas bougé. Et pourtant dix mille scènes se sont succédées, tendues ou apaisées par l’angle adouci d’une caméra hyper-expressive. On a tout vu, tout compris sans quitter un instant cette salle des Urgences où la relève de nuit vient d’arriver. Mais Asger fait du rab, outrepasse ses droits et brave les interdits.
Il n’est pas très clair lui non plus, on le sent, on le devine. Le drame qui se noue se mêle à sa vie privée et professionnelle. L’histoire d’une vie posée dans ce scénario parfaitement écrit sur des angles qui se superposent dans sa parole et son regard. Un filmage d’une grande sensibilité, une interprétation de grande classe : Jakob Cedergren, évidemment !